La légende du café
Conte d’Algérie
Ma vieille amie se prénommait Fatima. C’était une femme qui passait beaucoup de temps à réfléchir et à méditer. Assise à quelques mètres de son gourbi sur une pierre plate, elle filait la toison d’un mouton qu’un voisin complaisant lui avait offerte.
Elle avait une façon de filer assez étonnante, tordant très finement la laine entre le pouce et l’index et l’enroulant autour d’un gros bobinot.
Un jour j’allais la voir, je la trouvais près de son foyer, préparant un excellent café dont elle avait le secret.
Elle me fit signe de m’accroupir auprès d’elle et me tendit une tasse minuscule de ce nectar. En me tendant ce bon caouah, elle me dit avec une pointe d’humour dans le regard :
– Je suis sûr, ô mon amie que ru ne connais pas la légende du caféier !
-Ah non ! ni toi, ni personne ne m’en a parlé.
-Allah Akbar ! (dieu est grand), il y a très longtemps de cela, près de Biskra (Oasis située près des Aurès en Algérie), vivait un lettré.
Il avait beaucoup d’écritures à faire, et son drame, c’est qu’il ne pouvait pas veiller et travailler le soir, le sommeil le terrassait, aussi était il bien ennuyé.
Ce savant avait une chèvre dont il faisait traire le lait, c’était sa seule boisson car il était très sobre.
Chaque matin, un berger menant paître son troupeau la prenait au passage et la ramenait le soir les pis gonflés. Quand rentrait l’animal, le savant allait la voir et admirait sa vitalité.
La chèvre sautait, cabriolait et bêlait toute la nuit; c’était d’ailleurs les voisins qui l’en avaient averti, car lui hélas dormait profondément.
Elle ne paraissait jamais lasse et le lettré en était très intrigué. Que pouvait elle manger qui la rendit si excitée ? Aussi l’homme voulut-il en avoir le coeur net et, un matin, quand le berger vint chercher la chèvre, il décida de l’accompagner.
Arrivés sur les lieux du pâturage, les animaux s’égaillèrent dans la nature et le savant suivit sa chèvre qui le mena tout droit vers un arbuste aux fruits rouges dont elle commença à se régaler.
A son tour, l’homme s’approcha, cueillit une grande quantité de ses fruits et s’en revint chez lui impatient de les goûter et d’en connaître les effets. Il en croqua quelques unes mais les recracha aussitôt.
-Pouah! fit il c’est vraiment mauvais !
Je pourrais essayer d’en faire bouillir une poignée ? Ce qu’il fit et alors un petit miracle se produisit : en buvant ce nectar, après l’avoir abondamment sucré, il sentit tout à coup, dans son corps et dans son esprit, un bien-être et un courage extraordinaires.
Il en reprit une tasse le soir avant de se mettre à son travail et put grâce à ce breuvage, écrire fort tard dans la nuit, car le sommeil l’avait fui.
Et voici mon amie comment l’homme a découvert le café : grâce à une chèvre …
Extrait du livre Contes et Légendes du Maghreb
de Mireille de Régla, édition Nathan 1968.