La légende du maïs
Conte d’Amérique du Nord
Il y a longtemps vécut en Amérique un enfant indien nommé Wunzi.
C’était un garçon doux, fluet, toujours souriant, insouciant et pacifique. Il était pauvre, trop grand pour son âge, un peu voûté tant il était maigre.
Wunzi est à l’âge où les indiens doivent choisir leur esprit protecteur qui les guidera sur le chemin de leur vie.
Pour cette cérémonie importante et grave, le jeune indien a construit une hutte de branches dans la prairie. Pour cette initiation, il devra rester dans cette hutte pendant 7 jours et 7 nuits sans manger ni boire.
Il s’installe donc dans cet abri, assis, les jambes croisées, une couverture sur les épaules et attends l’ange qui doit venir à lui. Trois jours se passent.
Au matin du quatrième jour, un étranger apparaît à l’entrée de sa hutte, le soleil dans le dos et s’assied en face de lui.
C’est un homme presque transparent, au visage aigu et au regard lumineux, très chaud et bienveillant. Il est vêtu d’un grand manteau de plumes et coiffé de longues feuilles vertes.
Wunzi le regarde les yeux plissés. Il ne sait trop s’il a devant lui, un homme véritable, ou si la faim qui creuse son ventre assaille sa tête et trompe son regard.
L’étranger se met à parler.
-Mon nom est Mondawmin. Je suis un messager du grand esprit. Je viens t’annoncer ceci : tu ne seras jamais ni un guerrier, ni un sorcier. Mais tu peux vivre plus utilement que les guerriers et les sorciers. Je détiens un secret que tu peux m‘arracher si tu acceptes de me combattre.
Mondawmin dit ces mots à voix calme et sourit. Wunzi se lève. Ses jambes sont faibles. Il se sent fiévreux. La tête dans les épaules, il dit :
-Puisqu’il le faut battons nous !
L’étrange messager se lève aussi. Ils s’empoignent dans la hutte de branches, chacun essaie de renverser l’autre. Wunzi serre les dents et s’accroche à son manteau de plumes, ses jambes tremblent, de toutes ses forces, il lutte, le ventre creux.
Enfin Mondawmin recule d’un pas, il prends Wunzi aux poignets et dit :
-C’est assez pour aujourd’hui. Demain je reviendrai.
Wunzi tombe à genoux haletant. Il reprend son souffle à grand peine. Quand il relève la tête, l’étranger a disparu.
Le lendemain, à l’aube, Wunzi attend debout sur le seuil de la hutte l’homme vêtu de plumes et coiffé de feuillage. Il arrive par la plaine, sans un mot, il lui saute dessus. Le jeune indien se sent plus faible que la veille, mais plus furieux et dur de coeur, il se bat jusqu’à l’épuisement. A l’instant où il va tombé évanoui dans l’herbe, Mondawmin le retient par les cheveux et lui dit impassible :
-Demain, nous combattrons pour la dernière fois. Alors mon fils tu devras me tuer. Maintenant écoute : quand je serai mort, tu me déshabilleras et tu m’enterreras. Tu me laisseras reposer en terre. Tu viendras de temps en temps nettoyer ma tombe. Qu’aucune herbe ne pousse sur mon corps enterré. Alors quand le temps sera venu je renaîtrai.
Ainsi parle le messager du grand esprit. Puis, immobile, il devient éblouissant comme le soleil et disparaît.
Le lendemain matin, voilà six jours que jeune indien n’a ni mangé, ni bu. Debout devant la porte de sa hutte, il voit trembler les arbres lointains et l’horizon comme un mirage. Sa tête tourne, il s’avance en titubant sur la plaine. Alors tout à coup, le messager du grand esprit apparaît devant lui comme s’il était soudain sorti de terre. Il sourit comme au premier jour, son sourire est chaleureux et bon. Il ouvre les bras, Wunzi aussi, et les voilà qu’ils s’embrassent comme père et fils depuis longtemps séparés.
Wunzi en pleurant serre Modawmin très fort, aussi fort qu’il le peut et bientôt les bras de l’homme au manteau à plumes tombent inertes le long de son corps, sa tête se renverse en arrière, ses yeux se ferment et il meure ainsi.
Alors Wunzi s’agenouille et couche dans l’herbe le messager céleste. Il le déshabille, creuse une fosse et l’enterre. Puis il rentre chez lui et mange enfin après 7 jours de jeûne.
Passent les semaines, le printemps, puis l’été. Wunzi vient de temps en temps nettoyer la tombe de Mondawmin, le messager. Au premier jour de l’automne, il découvre une plante qu’il n’a jamais vue, une plante aux longues feuilles exactement semblables à celles que l’homme au manteau à plumes portait sur sa tête.
Ces feuilles enveloppent un épi luisant, doré, Wunzi se penche et le prends dans les mains, délicatement :
-Mondawmin revient au monde, dit-il simplement.
Wunzi, l’enfant indien pacifique et pauvre regarde émerveillé, cette plante nouvelle que personne n’a jamais vue encore : le premier plant de maïs qui fut ainsi donné aux hommes.
Extrait de L’arbre à soleils légendes
de Henri Gougaud, ed Le Seuil coll. Points, 1979